Voyage à travers les plaines

Helda était silence juchée sur son destrier. Le soleil était haut, il était probablement proche du zénith. Ce faisant il cognait sur les plaines aussi surement que la pluie tombait. Mais la chaleur était supportable. Son contact à Elyséa lui avait fourni des vêtements plus discrets pour le voyage. La jeune femme s’était délestée du sombre pour des couleurs plus terrestres. Une chemise en coton blanche avec une veste en peau de chèvre, une jupe marron large pour la chevauchée, de vieilles bottes au cuir usé et des gants crémeux étaient ses nouveaux apparats. Mais ce qui la dérangeait le plus était l’absence de sa cape. Helda passa sa main dans sa mèche afin de l’écart.

Pour le voyage, elle avait attaché ses cheveux en une queue de cheval mais rien n’aurait pu empêcher cette maudite mèche de tomber. Elle aurait depuis longtemps dû la couper. Elle se l’était souvent dit que sa vision serait plus aisé sans. Que sa vieille habitude disparaitrait… Un souvenir lointain lui revient en mémoire. Une personne lui passait une main affectueuse dans les cheveux afin de lui dégager les yeux. Helda éprouva une forme de nostalgie avant de chasser ce souvenir avant qu’il ne mène plus loin. Elle fixa son attention sur son compagnon à trois mètres devant elle.

Bragan Circern, était un mercenaire pragmatique chargé de veiller sur elle jusqu’à ce qu’elle atteigne Iépmop. Vêtue lui aussi d’habits similaires aux siens, un arc et un carquois étaient accrochés dans son dos et à son coté pendait une épée. Il était celui qui lui avait fourni vêtements et destrier. Mais il était avant tout son guide et son garde du corps. Même en temps de paix, une femme voyageant seule était une proie facile. Bien qu'Helda n'avait rien d'une jouvencelle, elle ne souhaitait guère s'attirer des ennuis sur le chemin. Perché sur un cheval bai à la crinière sombre, Bragan observait avec attention la plaine. Cette dernière était déserte. Depuis leur entrée vers le centre, les voyageurs avaient été rares. Ils avaient brièvement croisé une ou deux caravanes mais rien de plus. Cela convenait parfaitement à Helda qui n’aimait pas la foule. Au moins pouvait-elle profiter d’un air sain et d’un paysage agréable. Ses yeux se posèrent sur le panorama. Le meilleur adjectif pour qualifier les plaines aurait été le mot « vert ». Une herbe rase et verte parcourrait les lieux dans toutes les directions colorés par quelques fleurs sauvages. Les arbres étaient épars et ne se regroupaient qu’en bosquet à mesure que l’on descendait vers le sud. C’était dans ces zones boisées que se réunissait le gibier bien que les terriers de lièvres soit légion dans la plaine. Il n’y avait pas d’immenses forêts comme au Royaume Elfique, ou de creux et de sommets vertigineux comme à Damaz-Kron. Le relief était clément à peine vallonné de petites collines. Un endroit agréable pour voyager mais aussi pour guerroyer. Helda ne doutait pas que dans ses plaines le sang est jadis coulé en nombre. Son cheval s’ébroua comme s’il rechignait à la laisser penser ainsi. La jeune femme flatta la brave bête acajou à la crinière café au lait. Elle s’était finalement faite à sa présence. L’odeur de son cerbère avait certainement été emportée par le vent. La jeune femme baissa les yeux sur les ombres. Durant ce voyage, elle était privée de sa compagnie. Une bête d’ombre attirait trop l’attention et la terreur. Mais elle lui manquait. Il fallait dire qu’elle était comme un membre de sa famille, une sorte de frère protecteur. Elle avait toujours été là dans les moments difficiles depuis que leurs routes s’étaient croisées, et ensuite la bête et la femme ne s’étaient plus quittées. Son cheval protesta et Helda tira sur ses rennes. Devant elle, au sommet d’une petite bute, Bragan s’était arrêté. La jeune femme donna un petit coup de talon à sa monture qui monta le rejoindre. Arrivée en haut, elle arrêta son compagnon et contempla la ville.

-Bienvenue à Iépmop, déclara Bragan.

Iepmop est la plus grande ville du territoire ouest d'Elyséa. Elle est au cœur d'une riche région que les Elyséans qualifient de « Terre des dieux » pour sa fertilité, sa proximité de la mer et son climat. Car les Mers Jumelles ne sont pas très éloignées de cette cité, apportant de doux et agréables vents marins et reliées à cette dernière par un fleuve aussi court que large, le fleuve Samo, faisant de cette ville un véritable port, en ce moment en pleine expansion.

La ville est construite au pied d'une montagne petite montagne très fertile, l' Evusev. La terre, extrêmement riche permet, en particulier, la culture de la vigne et donc favorise l'afflux de population. Iépmop compte dans les environ de vingt-mille habitants. Son vin est d'ailleurs très renommée pour sa finesse et son gout à la fois subtil et sucrée, qui fournit aussi bien les tables de l'aristocratie que celles des membres du Conseil ou les Frères-Seigneurs du Désert du Sud.

La situation élevée de la ville construite sur un plateau, 33 mètres, en fait un poste stratégique pour la surveillance du déplacement des troupes dans la région. Une imposante murailles, digne de celles d'Elyséa elle-même, encercle donc Iepmop. Mais la ville n'est pas entourée de sources et c'est un inconvénient. Les Elyséans ont donc construits des citernes d'eau pluviale, puis un aqueduc partant du fleuve Sarno pour assurer l'approvisionnement de la ville.

Pour ce qui est de son architecture, on y retrouve diverses influences culturelles. Celle qui domine est bien évidemment la culture élyséanne et son gothique flamboyant. Mais, en observant bien, on y distingue des détails architecturaux qui peuvent clairement être identifiés comme ceux des tribus et villes du désert, la ville ayant toujours abritée une forte communauté venue de Raml-Jounoub. Enfin, dans un style un peu plus rustre, on y retrouve la culture osque, la tribu à l'origine de la fondation de la cité. Celle-ci perdure encore de nos jours, malgré son annexion par Elyséa, voilà déjà plusieurs siècles.

En pénétrant dans la cité par l'une des cinq portes qui percent les murailles, la porte du Samo, car menant au fleuve voisin du même nom, Helda traversa tout son long la Rue de l'Abondance, du fait de l'omniprésence de marchands et d'étals. Le grouillement des clients, commerçants, paysans, habitants avec les boutiques aux marchandises variées, ateliers et maisons en font la rue la plus vivante de la cité Tout se trouve ici. Cette ville est, vous l'aurez compris, le principale centre de commerce de la région. Cette rue va jusqu'au Forum, la place centrale d'une ville élyséanne, sur laquelle on peut trouver aussi bien des magistrats que des religieux officiants, des maîtres enseignants en plein air ou des avocats proposant leurs services. C'est juste à l'extrémité de cette place que se trouve la maison du gouverneur de la ville.
Maison ? Villa devrait-on dire !

C'est une demeure aux proportions impressionnantes, mais harmonieusement équilibrées, et dont les pièces sont élégamment décorées. Elle constitue le type classique de la maison aristocratique élyséanne. Elle appartient Aulus Vesturus, l'un des personnages les plus en vue de la ville, le neveu même de Sylla, l'actuel Chef de Famille de la maison Edramarek, et donc membre du Conseil. Il s'occupe de l'organisation politique de la cité.

C'est là qu'est dissimulé le corps du jeune sorcier tué, ici, dans les murs de cette cité. D'ailleurs, Aulus attend déjà la venue de Helda.

La plupart des serviteurs, tous esclaves venus principalement du désert, étaient au petit soin de la Sorcière. Le simple fait qu'elle vienne de la part du Conseil de la Tour d'Obsidienne, porteuse de la marque des Chasseurs, était suffisamment impressionnant pour ouvrir toutes les portes de la cité à la demoiselle. C'est pourquoi Aulus, probablement dans le bût de s'attirer les faveurs d'une envoyée de son propre oncle, lui fit apporter tout le luxe que pouvait se procurer un membre de la très-haute aristocratie élyséanne, à savoir des huiles parfumées contenues dans d'élégantes fioles en verre venues tout droit d'Isin, des bracelets et des colliers dont la la beauté ferrait que même une femme aussi peu coquette qu'Helda serait forcée d'être tenté de les mettre, fruit du travail acharné des nains, ainsi que ses propres vêtements, un minimum lavé et sec.
Bien sûr, à la Tour d'Obsidienne, on était habitué à ce genre de luxe. Il était simplement bien moins voyant. Les Mages on toujours eus à cœur de ne pas faire étalage de leur puissance et de leur richesse, pourtant connues de tous en Elyséa. En province, et jusque dans les rang de la noblesse présente dans la capitale, on en faisant étalage. Car montrer sa richesse, c'était montrer sa puissance politique. Argent et pouvoir étaient intimement imbriqués l'un dans l'autre.

Ainsi, un refus de la totalité des biens offerts seraient malvenus, même de la part d'une Sorcière, même de la part d'une Chasseuse. Bien évidemment, elle n'était pas obligée de tout prendre, un bijoux par-ci, une broche par-là, rien d'automatiquement exubérant, tant qu'on le voyait. Si, en plus, on pouvait assimiler le cadeau à Aulus, alors c'était encore mieux. Quoi de mieux que de s'afficher aux côtés d'une envoyée du Conseil, surtout quand on savait que les élections des prochains magistrats représentant la cité au Sénat approchait ?
Car ainsi marchait la politique à Elyséa. Pour les questions purement territoriales, administratives ou financières, en somme tout ce qui concernait le domaine civil, on s'adressait au Sénat d'Elyséa, composé de sénateurs représentant chacun une des capitales régionales. Iépmop faisait partie de ces cité au statut si spécial. Et d'ici quelques semaines, le peuple devrait choisir son prochain sénateur, un rang parmi les plus élevé et enviable accessible aux non-sorcier.

Forte de cette information, Helda savait parfaitement ce à quoi elle devait s'en tenir vis-a-vis de Aulus. Lorsque la jeune femme eut finit ses ablutions, il devait déjà être midi passé. Le soleil brillait haut dans un ciel qui ne tolérait la présence d'aucun nuage, d'aucune tache qui viendrait enlaidir la pureté de son azur.

Le politicien se trouvait dans ce qu'on appelait l'atrium, l'entrée de la villa élyséanne. C'était une pièce rectangulaire bénéficiant d'un bassin intérieur alimenté en eaux par de discrets et élégants canaux, ainsi que par l'eau de pluie qui s'écoule par le trou de même dimension perçant le plafond. Le tout était décoré de superbes mosaïques représentant les dieux chassant les démons de la Terre avant de créer la vie. Une légende bien connue dans le coin. Lorsque Aulus aperçut la Ténébreuse, il leva les bras en l'air et lui adressa son plus beau sourire :

- Ma Dame Helda Tessriel, quelle joie pour moi et ma maison de vous accueillir entre ces murs.

A ses bras se tenait sa femme, Hilara Creuse, membre d'une des plus prestigieuses famille de Iepmop. Son mariage avec Aulus Vesturus, de la maison Edramarek, avait considérablement augmenté la puissance de sa famille, en même temps qu'elle facilitait l'ascension politique de son mari dans la région. Un mariage arrangé, mais qui ne semblait pas les avoir empêcher de tomber sincèrement amoureux l'un de l'autre. D'ailleurs, à bien y regarder, Hilara portait en son ventre les fruits de cet amour réciproque.

- C'est une véritable bénédiction de vous compter sous notre toit. Dit-elle dans un éclatant sourire. Ses yeux, si doux et chaleureux, ne semblaient pas emprunt de cette soif de profit et d’intérêt comme l'étaient ceux de son mari. Celui-ci prit d'ailleurs de nouveau la parole.

- Malgré mes supplications et mes refus, ma femme à absolument tenue à organiser une grande réception en votre honneur, ma Dame. Elle aura donc lieu ce soir.

Une réception ... Le genre de celles qui rassemblent toute la bonne société de la cité, celles qu'on ne peut refuser sous peine de se mettre à dos toute la ville. Les affaires et les devoirs devront donc attendre la fin des mondanités.

Helda acquiesça à l’annonce de l’évènement. Dissimulée sous son capuchon, Aulus ne put la voir grimacer. Elle avait espérer mener cette affaire dans la discrétion la plus totale et voilà qu’elle se retrouvait sous les feux des attentions. L’attention d’une foule de serpents car c’est ainsi qu’elle voyait les politiciens et les nobles avec leur manière et leur langage mielleux. Et elle devrait être vigilante car sans capuchon, ses expressions seraient exposées au grand jour. Helda s’excusa auprès du couple avant de se retirer dans ses appartements.

Ces derniers étaient quatre fois plus grands que ceux de la Tour d’Obsidienne. En entrant, elle eut le déplaisir de constater qu’un mont de présent l’attendait. Helda regarda le butin interdite. Aulus espérait il acheter son soutien ? Bien que mage, Helda n’avait aucune influence sur le domaine politique. Elle n’en avait jamais voulut. A quoi bon rester des heures se morfondre sur des manigances alors que le monde était si vaste ?

Et puis, Epiales n’avait guère sous entendu qu’elle devait l’épauler. En avisant, les cadeaux Helda ne put s’empêcher de penser qu’elle n’était pas une pouliche que l’on apprêtait pour un grand spectacle. Son envie était de faire renvoyer tous les présents mais sa raison lui souffla de ne rien en faire. Cela aurait été plus que mal vu surtout qu’il s’agissait de son hôte et du neveu de son mentor. Aussi décida-t-elle de consacrer son après-midi à faire le tri. Elle fit renvoyer tous les présents en or. Cette première vague était un étalage clair de ses goûts. Pas d’or. Ce dernier était le symbole de la richesse par excellence et Helda se devait de rester humble. Elle avait vu trop de gens sombrer dans la richesse. La jeune femme scruta les pierres précieuses. Elle les fit aussi toutes renvoyée à l’exception d’un collier en nacre de perles noires et blanches et d’une parure en obsidienne. Elle garda également deux bracelets en argent finement ouvragés. Helda appréciait le dur labeur des artisans qui créaient à partir du feu et de leurs mains des objets si délicats. Une fois les métaux triés, la jeune femme se tourna vers les habits. Les tissus étaient de la plus belle qualité qui soit, les robes finement cousues à la main et brodée de perles ou de fils d’or ou d’argent. Helda souleva une robe en soie crème. La robe lui plaisait jusque dans ses plis mais elle fronça les sourcils sur un détail. Le décolleté était plongeant.

- Me prend-il pour une vache à lait !?

Irritée la jeune femme fit renvoyée toutes les robes aguicheuses et colorées. On ne la surnommait pas La Ténébreuse pour rien. Puis se fut le tour des atouts trop opulents si bien qu’il ne resta plus que trois tenues complètes. Une robe noire en velours qui montait jusqu’au coup. Trop rigide pour ce genre d’évènement bien que collant parfaitement à son surnom. Une robe violine cousue de perles qu’elle n’oserait jamais mettre que pour les mariages. Et enfin, une robe bleue nuit en soie tissée avec soin de perles argentées.

« Comme un ciel étoilé » pensa Helda.

Oui c’était cette robe qu’elle porterait pour la réception. Le plissement de la soie, l’harmonie de l’ouvrage, la bienséance. Tout cela lui plaisait et les gants et les souliers assortis étaient même très agréables à porter. Helda jeta un œil aux huiles parfumées. Les fleurs n’étaient pas pour elle, leur odeur était trop entêtante. Elle avait besoin de quelque chose de frais et de discret.

« Comme une brise nocturne »

La jeune femme trouva finalement son bonheur. Elle n’avait plus qu’à tenter de coiffer ses cheveux sur le coté et à utiliser quelques petits artifices et elle serait prête pour la réception. Une réception où elle comptait bien dissimuler son badge de Chasseuse. Ce soir, elle serait une sorcière envoyée par le Conseil mais aucun ne verrait cette attribution affichée sur sa tenue de soirée. Elle était ici pour coincer un assassin pas pour l’avertir de sa présence et de lui permettre de fuir. Aussi jouerait-elle son rôle. Epiales lui avait enseigné les usages et les danses à adopter à ces réceptions. Elle ne devait pas le décevoir. Fin prête, La Ténébreuse se décida à entrer dans la danse.

Aussi sage que prudente, Helda avait donc décidée de dissimuler sa véritable identité, celle de Chasseuse, pour ne pas attirer l'attention. Et avec raison, car les politiciens élyséans n'étaient pas que de simples serpents, c'étaient aussi des vautours et des corbeaux, tournoyants de manière funeste autour de leur prochain festin, camouflant leurs véritables intentions derrière la façade de la politesse, de la bienséance et de la rhétorique. Les politiciens n'accédaient à leur rang non seulement par les votes du peuples et leurs talents administratifs, mais également par leurs magouilles politiques, leur versatilité et leurs trafics d'argent et d'influence. Les Familles du Conseil n'échappaient pas à la règles, elles étaient simplement plus fréquentables, plus honorables et plus modestes. Mais lorsque leur intégrité étaient menacée, elles étaient capables de déployer les moyens les plus immoraux pour se défendre. Et avec raison. L'affaiblissement d'une seule des Cinq Familles était un préjudice important pour la sécurité de l’État et du pays.

Dommage que toutes les familles aristocratiques n'aient pas cette même loyauté, cette même dévotion. Pour elle, l'ascension sociale ne se résumait qu'au but poursuivit : l'accroissement de leur richesse et par conséquent de leur puissance.

Pour ce qui est de la préparation à la soirée, Helda n'était pas au bout de ses surprises et de ses peines. En moyenne, une femme de l'aristocratie consacrait toute une matinée simplement à sa coiffure. Dans le cas présent, le laps de temps accordait n'avait été que de deux minces heures. Et il y avait également le maquillage, auquel ne pourrait se substituer la Sorcière sans décrédibiliser tout son Ordre. Cela faisait partie intégrante de la culture élyséanne et de la culture locale. S'y refuser serait un véritable affront. Sans compter que tout impair commis par la Ténébreuse entacherais la réputation de la Tour d'Obsidienne.

D'ordinaire, les coiffures sont simples, elles se composées d’un simple chignon et d’une raie dessinée sur le sommet du crâne. Mais depuis la dernière mode, les coiffures se sont complexifiées, s'enrichissant de boucles très élaborées et de coiffures à étages. Et notre pauvre Sorcière ne pourrais éviter ces coiffures si elles voulaient être acceptée dans le cercle très fermé de l'aristocratie. Elle fut donc aidée par une servante spécialisée dans la coiffure, appelée ornatrix.

Lorsqu'elle arriva à la réception, le spectacle qui s'offrit à ses yeux parut des plus exotiques. Les couleurs éclatantes rivalisaient avec les bijoux les plus somptueux, qui ornaient avant-bras, poignets, chevilles, doigts, cou, oreilles ou cheveux. Certaines femmes portaient des perruques blondes ou des postiches tenus par des épingles. D'autres portaient un voile et s’abritent sous une ombrelle. Ce couvre-chef était tour à tour une mitra, sorte d’écharpe munie de cordons servant à la nouer ou un reticulum, sorte de résine qui enferme les cheveux. Les plus âgées portaient un palliolum, une pièce d’ étoffe carrée ajustée sur la tête comme un voile ou un bonnet. On riait aux sons de la musiques, ont goutaient aux mets les plus exquis dispensés sur une table de banquet recouverte au préalable d'une nappe de soie blanche incrustée de perles et tissée de motifs en fil d'argent. Les discutions étaient déjà très animées, avec pour thème, bien évidemment, la politique, mais également la philosophie, les arts sous toutes leurs formes et les derniers potins. La totalité des sens étaient mis en exergue par ce déferlement de sensation.

Lorsqu'il aperçut la Chasseuse, Aulus, vêtu de la toge des magistrat, celle dans laquelle se discernait la bande rouge qui symbolisait sa fonction, leva les bras vers les cieux et se dirigea vers elle, l'embrassant sur les deux joues. Ayant capté l'attention de la salle, il fit les présentations.

- Très estimés amis, voici celle pour qui nous sommes tous réunis se soir. Voici Helda Tessriel, envoyée par le Conseil en personne. Elle est ici pour quelques jours afin ...

Allait-il faire l'immense erreur et tout révéler ?

- ... De représenter la Tour d'Obsidienne lors de la Célebration de la Lune Noire, qui aura lieu dans quelques jours, et dont ma femme et moi sommes les bienheureux organisateurs.

Aussitôt, toute l'assistance applaudit, tandis qu'il posa un bras aimant sur l'épaule de sa femme. La Célebration de la Lune Noire était une fête très importante dans la liturgie du Culte d'Ereshkigal. Une fois par ans, à une date aléatoire fixé par le clergé du Grand Temple de la Déesse, on célébrait la Lune Morte, représentant le repos mensuelle de la Sombre Reine. Et tandis que tous applaudissait autant le maitre de maison que l'hôte de marque, le premier chuchota à la seconde :

- Gardez le sourire et ouvrez l’œil. Le commanditaire de l’assassinat est forcément dans cette pièce.

Cette fête ne serait donc qu'une diversion ?

Helda n’avait jamais vu autant de nouveauté sur la mode. Les coiffures et les chapeaux lui semblaient à la fois étranges et ingénieux. Par quel miracle tenaient ils sur les têtes ?Certains étaient ajustés avec raffinement et d’autres semblaient plus grossiers. Aulus venait de la mettre dans une position difficile. Tous les visages la contemplaient. La jeune femme leur offrit un sourire qu’elle espérait naturel. La familiarité d’Aulus n’était certes qu’artifice mais son étreinte avait suffit à la mettre mal à l’aise. Pourtant, elle devait se reprendre. Le magistrat était un homme intelligent et il lui avait donné une couverture tout en parvenant à glorifier son image. Une couverture qui avait un lien avec Ereshkigal. Il semblait qu’Helda ne pouvait échapper à sa mère où qu’elle se rende. Mais la jeune femme connaissait bien la célébration. Le haut-prêtre avait toujours insisté pour qu’elle y soir présente et cela était devenu un de ses devoirs annuels. Mais cette fois-ci, elle ne serait pas dans la capitale. Helda se pencha sur Aulus en tachant de paraitre proche de lui :

-Mes yeux et mes oreilles sont ouverts.

Elle avait bien compris son message. Devant tant d’artifices, les yeux étaient facilement trompés. Heureusement pour Helda, on ne pouvait tromper les ombres et leurs chuchotements. La jeune femme quitta Aulus et fut noyée sous le flot de salutations et sollicitations. Beaucoup demandait des nouvelles de la Tour ou des membres du Conseil. D’autres cherchaient à obtenir des faveurs. Et certains posaient des questions plus personnelles… Elle tacha d’y répondre en contrôlant sa voix afin que son intonation naturelle n’incommode pas ces gens. L’un des nobles qui l’entouraient tenta de la complimenter :

- Une si belle femme représentant la Tout d’ Obscidienne à la Célébration de la Lune Noire! Je dois dire que j’avais crains que nous nous retrouvions face à la froide et terrifiante Ténébreuse !

-Vous l’avez pourtant en face de vous, les yeux glacés, toute trace de contrôle perdue.

L’homme partit d’un rire nerveux avant d’une pirouette de se glisser dans une autre conversation. La foule lui sembla alors plus lointaine. Une bonne ou une mauvaise chose ? La crainte était parfois une bonne arme mais cela ne l’aidait pas. Helda se retrouva devant le buffet où elle grignota des fruits exotiques. Une personne s’avança vers elle tout sourire :

-Tess ! Si je m’attendais à vous voir ici !

Helda acquiesça. Elle connaissait cet homme, le seul la nommant ainsi. C’était un mage de feu. Son nom était Cyrius Jorvym. Il était le genre de personne qui attirait naturellement la sympathie et l’attention, toujours bien entouré et plein d’amis.

-Cyrius, le salua-t-elle.

-Venez donc danser avec moi ! Cela nous rappellera de vieux souvenirs.

Helda acquiesça. Elle ne pouvait pas le lui refuser. Il avait toujours été ainsi, l’entrainant malgré elle dans la lumière. La musique s’éleva et ils dansèrent. Cela lui rappela un temps lointain, lorsqu’ils étaient encore en apprentissage. Durant les cours communs, Cyrius avait toujours été le seul qui venait vers elle. Son seul partenaire dans les activités communes. Les autres restaient souvent à l’écart.

-Vous ne m’appelez donc plus Jorvym, la taquina-t-il.

-Étant donné votre caractère ais-je vraiment le choix ?

Cyrius rit à sa remarque. A chaque fois qu’elle l’avait nommé par son nom de famille, il insistait toujours pour qu’elle utilise son prénom, si bien qu’elle avait fini par abdiquer. Malgré son caractère agréable il pouvait se montrer incroyablement têtu !

-Voilà longtemps que nous ne nous étions vu.

-En effet. Sers-tu ici ?

-Oui, j’ai été affecté au sud. Et toi, tu es dans les petits papiers du Conseil.

-Qui d’autre oseraient m’employer ?

-Et bien… C’est une question d’image. Je pense que si tu…

-Je n’ai guère envie de me disputer avec toi, trancha-t-elle.

Cyrius acquiesça et lorsque la danse fut terminée, il lui baisa la main et ajouta avant de s’esquiver:

-J’ai beaucoup de choses à te raconter sur Ani. Peut-être pourrions-nous nous voir une prochaine fois ?

Helda acquiesça le pardonnant à moitié. Cyrius savait très bien que les histoires sur Ani l’intéressaient. C’était ce qui avait permis de tisser un lien. La jeune femme regarda son collègue partir et se tourna vers la foule en quête de mauvaises intentions. Mais la salle en était remplie.

Cyrius s'écarta donc, laissant tout le loisir à Helda d'imaginer les histoires et les légendes les plus folles à propos d'Ani. Ce dieu était bien particulier dans le panthéon divin : à la fois destructeur barbare et justicier implacable. Dieu du Feu, qui purifie autant qu'il détruit, Dieu de la Guerre, qui anéantit les vies autant qu'elle crée les Etats, Dieu de la Justice qui exécute sans pitié autant qu'elle défend les opprimés. Cependant, la Justice Divine était bien différente de celles des mortels, car eux ne la voyait que du regard de l'immortalité. C'est pourquoi on pouvait aisément en conclure que c'étaient les Elfes qui se rapprochaient le plus de la justice des Dieux. Et pourtant, ces derniers étaient divisés en trois peuples distincts, divisant par la même occasion leur propre perception de la justice.
Mais en ce jour, ce n'était pas de la Justice des Dieux qu'il était question, ni celle des Elfes, ni celle d'aucune autre nation. Il n'était question que de celle d'Elyséa. En l’occurrence, il faillait impitoyablement faire abattre le glaive de la Loi sur la nuque de l'homme responsable de la mort d'un Sorcier. Homme ou Femme, d'ailleurs. Une chose était sûre, quelque soit le sexe de l'assassin, celui-ci se trouvait en présence de la Ténébreuse, à cette réception. Qui donc, dans la région, aurais put fomenter un tel complot contre la Tour d'Obsidienne, sinon une personne ayant les moyens financiers, politiques et diplomatiques de recruter un (ou plusieurs) membre(s) de l'Ordre des Haschischins ? Pas les trois-quarts des convives présents, en tout cas. La plupart n'appartenaient qu'a la petite noblesse ou petite bourgeoisie locale. Non, il fallait aller viser plus haut, dans les sphères plus riches de la bonne société de Iepmop.

Alors que la fête battait son plein, que la musique, le banquet et le vin enivrait l'esprit et le corps, on vit apparaitre les débuts d'un libertinage des plus ouvert. Des couples d'un soir commençaient à se former. Cela débutait par quelques phrases teintées d'humour bien placées, puis par des évocations plus ou moins subtiles, mais également bien placées, continuant sur de baisers plus ou moins osés avant d'en arriver à d'autres véritablement langoureux. Les couples, en début de soirée d'apparence unis et fidèles, se dispersaient et se mélangeaient. Que se soit le sexe fort ou le sexe faible, les deux rivalisaient d'avance des moins chastes. Et pendant ce temps, les esclaves continuaient de remplir les coupes de vins et de proposés les plats les plus exquis. Aucun répit n'était accordé aux convives, qui mangeaient et buvaient plus que de raisons.
Pour Helda, qui n'était sûrement pas habituée a de tels spectacles dans la froideur et la rigueur de la Tour des Mages, ce devait être une situation très embarrassante. Ce qui n'était nullement le cas pour le couple d'hôtes, qui circulaient entre leurs invités de manière nonchalante, souriant et riant avec ces derniers.

Ici, sous les yeux de la jeune Sorcière de l'Ombre, apparaissait un autre problème qui commençait à gangrener la haute-société élyséanne, l'abandon de la morale et des moeurs qui avait forgés cette société. Le libertinage commençait à se développer dans tout les milieux aisés. C'est sans aucune culpabilité et gêne que Hilara Creuse, la femme d'Aulus, se dirigea vers Helda, lui prenant chaleureusement la main avant de l’emmener à l'écart de la pièce.

- Ma très chère amie, c'est un véritable plaisir de vous recevoir en ma demeure ! J'espère que vous resterez encore longtemps. Ce serait en effet un tel bonheur pour moi et ma famille que vous acceptiez de bénir mon enfant une fois que j'aurais accoucher !

Une curieuse façon de demander une faveur, indubitablement. Helda refusera t-elle ? Les yeux d'Hilara étaient si pétillant, si remplit d'espoir, son sourire si sincère et amical, comment refuser une telle demande à une femme enceinte ?

Oui, Helda le lui aurait sans doute concéder si elle n’avait pas un si lourd passé derrière elle. Elle était l’enfant d’Ereshkigal. Sa bénédiction aurait donc été un grand honneur mais la jeune femme savait qu’il y avait toujours un prix à payer. Il ne se mesurait ni en or ni en faveurs. Les bénédictions étaient toujours associées à une malédiction chez Ereshkigal et elle ne le savait que trop bien. Vie éternelle rimait avec solitude et deuil. La jeune femme regarda son hôtesse avec sérieux. Elle n’avait pas envie de mettre ce poids sur l’épaule de cet enfant, il était déjà bien lourd à porter pour elle seule. Et puis, elle ne se sentait pas en droit de le bénir. Helda avait toujours repoussé la déesse bien qu’elle soit si présente dans les aspects de sa vie. Si cet enfant devait être béni, alors c’était aux dieux d’en décider, pas à elle. Elle était sorcière et non prêtresse. Restait à l’annoncer avec courtoisie à Hilara. La jeune femme songea soigneusement à ses mots avant de lui répondre :

-Toute bénédiction à un prix, Hilara. Parfois, certaines bénédictions peuvent devenir des malédictions. Je suis sorcière et non prêtresse. Ce n’est pas à moi que reviens cette tâche. J’en suis navrée. Mais si votre enfant nait sous la Lune Noire alors il y a des chances qu’Ereshkigal lui fasse un don.

Helda regarda la femme d’Aulus visiblement déçue mais elle ne perçut aucune rancune. Ou alors elle la dissimulait bien. La jeune femme s’excusa et regagna la salle. Mal lui en prit, le flot de libertinage était passé un cran au dessus. Dans un coin de la pièce, La Ténébreuse put apercevoir une femme les seins sortis de son corsage en bonne compagnie. Les convives étaient de plus en plus gris et exubérants. Helda inspira profondément et chercha une issue. Elle ne devait pas rester ici. La jeune femme aperçut une fenêtre ouverte sur un balcon et s’y dirigea. Elle chercha Cyrius du regard mais ne le vit nulle part. Prenait-il part à cette ignominie ? Elle espérait que non. Finalement, Helda atteignit le balcon où l’air frais lui fit du bien. Du bruit attira son attention sur sa droite. Un couple avait déjà laissé tomber tout le protocole en vigueur. La jeune femme décida de s’enfoncer dans jardin mal à l’aise. Dans les méandres de son ombre elle sentait s’agiter la bête. Helda rencontra d’autres couples la faisant fuir dans coins moins fréquenter. Elle ne voulait pas finir comme eux ou provoquer un incident. Un ivrogne la retenant aurait vite fait réagir son cerbère. Il était plutôt protecteur pour une créature de l’ombre. Finalement, elle trouva une portion de jardin calme. La bête sortit des ombres et vient se frotter à elle. Helda lui rendit son affection tout en regardant autour d’elle. L’ombre et la végétation la dissimulait mais elle avait une vue imprenable sur le jardin. Les silhouettes s’y déplaçaient en duo ou parfois seule. Sous ses doigts, son compagnon s’agita. Elle lui intima de se taire alors que des pas s’approchaient dans leur direction.

- Ainsi vous refusez de protéger notre famille ... Vous avez vos raisons et je le comprends pas. Mais je ne peux vous cacher être en grande partie déçue par votre attitude.

Le ton, simple, neutre, ne montrait aucune colère, aucune animosité. Son visage en faisait tout autant, tant et si bien que Helda ne pouvait distinguer si, réellement, Hilara lui en voulait. La logique voudrait que oui, il semblait évident que la mère en devenir avait placée beaucoup d'espoir en la Sorcière. Aussi, un refus de cette dernière ruinait tout ses projets. Avoir un enfant bénit, le jour de la Lune Noire, par un membre de la Tour d'Obsidienne était un très grand atout politique. Cet enfant, ou cette enfant, on ne savait pas encore son sexe, aurait été l’égérie de la famille, capable de rassembler autour de lui les alliés de son père pour en faire le véritable gouverneur de cette région, et non plus seulement de la ville de Iépmop.

Enfin, qui était-elle pour en vouloir réellement à la Ténébreuse ? Elle n'était qu'une mortelle, une femme qui ne savait rien de ce qu'était réellement la vie de Mage, surtout quand celui-ci était un Chasseur. Aussi Hilara partit-elle, après avoir inclinée légèrement la tête devant Helda, en signe de déférence.

Il semblait qu'elle ne lui en voulait pas.

Et tant mieux ! Avoir pour ennemie la femme du gouverneur de la ville dans laquelle vous devez enquêter est un obstacle très difficile à surmonter.

Une fois dans les jardins, Helda put en admirer la magnificence. Chaque portion de chemin était constitué de milliers de pièces de mosaïques représentant les exploits de la famille, militaire essentiellement. Car il était de notoriété public que cette famille avait jadis combattue contre les légions d'Elyséa, lors de la guerre qui verrait Iepmop devenir une simple capitale de province. Il fut une époque où cette ville semblait capable de concurrencer une Elyséa alors en pleine expansion, étant à la fois aussi riche, aussi puissante et aussi étendue territorialement. Pour les deux cités, la gloire de l'une ne pourrait passer que par l'asservissement de l'autre. Ainsi, pendant deux-cent ans, les deux métropoles c'étaient opposées dans une série de guerre violentes et courtes, prélude à celle, bien plus longue et bien plus dévastatrice, qui verrait Elyséa conquérir Iepmop. Et pendant tout ces siècles, la famille d'Hilara c'était illustrée comme la plus ardente protectrice de la cité, et cela jusqu’à la prise finale.

Même si la cité était actuellement prospère, ce n'était rien comparé à la gloire qu'aurait dut être la sienne si Elyséa ne l'avait pas en partie détruite lors du siège. Il paraitrait, d'ailleurs, que l'on pourrait encore voir les traces de cette destruction dans les catacombes de la cité, là où c'était réfugiée la famille royale et où c'était déroulés les derniers combats. Une fois le Roi éliminé, sa tête avait été apporté au Tyran d'Elyséa, et la famille Creuse, celle d'Hilara, fut en grande partie exterminée, pour réduire à néant toute tentative de révolte. Et cela avait marché.

On comprenait mieux, à présent, pourquoi l'enfant que portait actuellement Hilara était si important : il était l'union entre la famille Edramarek d'Elyséa et la famille Creuse de Iepmop. Magnifique symbole de réconciliation, n'est-ce pas ?

Cependant, Helda n'aurait pas le temps de songer à l'histoire de la cité, car un problème allait survenir bien plus rapidement qu'elle ne l'aurait crût ...

Les bruits de pas semblaient se rapprocher, ce faisant à chaque instant plus rapides. Pourtant, nul personne ne finissait par arriver dans la petite cour où se trouvait la Sorcière, alors qu'il était certain qu'elle était très proche. Elle semblait courir autour de la cour. Pourtant il n'y avait personne de visible. Aucun souffle, aucune respiration saccadée, simplement des bruits de pas.

Puis soudain surgit du sol, à travers une flaque d'ombre, une silhouette élancée et svelte. Après un salto-arrière, elle atterrit sur le sol pavé. Son visage était dissimulé sous un masque mortuaire représentant un spectre hurlant. Seuls étaient visibles ses yeux, d'une rouge si brillant qu'il en était assurément surnaturel. Lentement, il leva les bras en direction jusqu'à hauteur d'épaule, comme pour montrer qu'il n'était animé d'aucune mauvaises intentions.

Ce n'était pourtant pas le cas.

Car, d'un nuage ténébreux, deux cimeterre effilées apparurent dans ses mains, leurs lames brillant sous la lueur blafarde de cette lune descendante. Puis, en un simple bond, il fonça vers la Sorcière, prêt à lui faire sauter la tête des épaules.

Helda observa son adversaire. Ce n’était pas un sorcier. Son accoutrement sinistre et ridicule n’était là que pour impressionner. Mais la jeune femme resta de marbre. La seule peur qu’elle aurait pu ressentir en sentant cette aura menaçante elle s’en débarrassa. Des yeux rouges, un démon ? En tout cas, il pouvait voyager dans les ombres et c’était suffisamment dangereux pour elle. Helda fixa les cimeterres étincelants sous la lueur de la lune. Ils avaient soif de sang. Derrière elle, son compagnon grogna, prêt à s'interposer afin de la défendre.

Le spectre se jeta en avant. Il n’y avait plus à réfléchir ! Helda renvoya rapidement son familier. Elle ne le perdrait pas face à cette chose. De son autre main, elle convoqua les ombres et se munit d’un bouclier circulaire et d’une lame courbe. Une lame droite aurait été trop handicapante. Helda, dévia un cimeterre de sa lame et repoussa l’autre de son bouclier. Les ombres l’entourèrent. Une flaque apparut sous l’opposant. Il comptait la suivre de l’autre coté ? La jeune femme en profita pour lui asséner un coup de pieds avant de sauter en arrière hors de son cocon de ténèbres. Son armure en cuir se dévoila au regard de l’assassin. Se battre en robe aurait été bien imprudent et porter une armure de métal un mauvais choix car l’arme adverse était conçue pour y pénétrer. Porter un casque face à deux cimeterres aurait réduit son champ de vision et elle aurait besoin de ce dernier. Ne connaissant pas le niveau de manipulation des ombres de son adversaire mieux fallait être prudent. Vitesse et agilité étaient ses meilleures amies. Elle fixa son adversaire et ils se tournèrent autour, chacun cherchant une faille dans la garde de l’autre, réfléchissant au coup à porter. Les yeux rouges cherchaient à la tuer. Mourir aurait été une bonne chose sans doute. Cette chose était capable de la tuer, elle n’en doutait pas. Mais avant, elle avait une mission à remplir. L’assassin passa à l’attaque. Sa lame siffla par la droite puis par la gauche. Helda avança vers la lame venant de droite et pivota sur le coté repoussant de son bouclier de taille la deuxième lame. Elle passa sur l’arrière droit de l’ Haschischin. Les cimeterres n’étaient tranchant que sur un coté et il était impossible de renvoyer sa lame en arrière sans pivoter. Cyrius le lui avait appris, il connaissait bien les armes. La jeune femme lança un sort pour tester son adversaire. De l’ombre sortit des aiguillons de ténèbres. Le démon ne s’y empala pas cela aurait été trop facile. Mais Helda avait repris sa distance vitale. Elle ne comptait pas le laisser l’approcher si facilement d’elle. Et si elle devait se battre, elle le ferait avec tous les moyens en sa possession.

Sinistre et ridicule ? Cet "accoutrement" n'était en rien un simple déguisement, c'était l'uniforme spécial d'une unité particulière de l'Ordre des Assassins, nommée la Confrérie de l'Ombre. Ses membres, extrêmement talentueux dans leurs arts, étaient passés maîtres dans les maitrise des Arcanes des Ombres. En d'autres, ils disposaient à peu près des même capacités qu'Helda, ce qui en faisait les meilleurs meurtriers possibles des Sorciers. Il ne faisait d'ailleurs aucun doute que l'homme (ou la femme) qui combattait actuellement la jeune femme était assurément celui qui avait ôté la vie du jeune Sorcier, dont le corps reposait actuellement dans une pièce souterraine de la villa d'Aulus.

Mettant à profit autant ses dons pour la magie que son talent pour les armes, l'Assassin disparaissait sans-cesse dans les ombres, empruntant les chemins sinueux et tortueux des ténèbres, pour apparaitre dans le dos de son adversaire, à côté d'elle où sous elle.
On aurais dit qu'il ne cherchais pas vraiment à la tuer, car de nombreuses fois il aurait put lui prendre son dernier souffle. Il semblait la tester, tachant de voir jusqu’où elle pourrait aller. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il finit par parler pour la première fois en s'adressant directement à sa cible.

- Le dernier Sorcier que j'ai affronté n'était pas à ma hauteur. Donne moi un combat digne de se nom. Si tu me vainc, j'accepterais de répondre à cette question : pourquoi t'ai-je attaqué ?

Les Haschischins étaient connus pour n'avoir qu'une seule parole, Helda pouvait donc faire confiance à cette dernière promesse. Il n'appartenait donc qu'à elle de montrer toute l'étendue de sa puissance actuelle.
En espérant que cela soit suffisant pour vaincre ce bien curieux adversaire.

La jeune femme regarda son adversaire dans les yeux. Il avait finalement avoué son forfait. Helda n’avait  plus aucune raison de se retenir. S’il voulait un combat, alors elle le lui donnerait. La Ténébreuse leva arme et bouclier en l’air qui disparurent dans un nuage de ténèbres. Son adversaire avait peut être des pouvoirs similaires mais il n’était pas la création d’un dieu. Et au titre d’enfant de la déesse sombre, Helda avait certains avantages sur leur milieu de prédilection. La jeune femme fit à l’Haschischin, une plongeante révérence. Les yeux rivés sur les ombres du sol, Helda les ferma pour s’imprégner de la toile obscure. Il faisait nuit, elle pouvait tout oser ce soir tant que personne ne les remarquerait. Les ombres s’agitèrent répondant à son appel. Derrière elle, quelque chose s’enfonça dans les abysses. Lorsqu’elle se releva, elle plongea ses yeux violets dans le rouge de son adversaire. Elle n’avait pas besoin de voir son reflet dans ses yeux pour savoir que la rune sombre dansait dans ses prunelles. Le verrou sur son contrôle ôté, il était temps que le duel commence. Helda accorda un léger sourire à son adversaire avant de s’emparer d’une lance tissée dans l’ombre. La jeune femme s’enveloppa d’ombres et chargea pointe en avant. Helda entra dans son espace vital, et deux lames se tendirent vers elle. La jeune femme lança sa lance vers son adversaire avant de plonger dans les ombres sous lui pour en ressortir de l’autre côté. La Ténèbre était un peu comme l’océan, la surface était moins dangereuse que les abysses. Il était possible de se déplacer rapidement en surface sans transition ce que son ennemi pratiquait déjà. Helda en sortant de la pénombre attrapa sa lance au vol et enchaina par une série de coups qui manquèrent leur cible trop agile. La jeune femme se projeta dans les airs afin de se soustraire au domaine des ombres. C’était un risque, cela la rendait vulnérable devant le peu d’action dont elle disposait mais elle le prenait. Helda fit jaillir des ombres des tentacules autour de son adversaire qu’il trancha avec facilité. Cela eut au moins le temps de le retenir un peu avant le grand impact. La lance se scinda en deux lames pour contrer celles de son adversaire. Sous le choc des lames et de la vitesse, La jeune femme fut projetée contre un mur mais ne le heurta jamais. Elle quitta la lisière des ombres pour repartir à l’assaut. A nouveau au sol, les lames dansèrent sous une apparition de dards ténébreux. Repoussée en arrière la jeune femme décocha une boule de ténèbres avant de siffler. Deux chiens aux yeux rouges sortirent des ombres pour assaillir l’homme. Les cerbères étaient toujours en trio. L’alpha avait appelé ses sous-fifres. Avec leur aide, Helda réussit à égratigner le masque de l’Haschischin mais récolta une légère blessure au flanc. Le sang goutta sur le sol la faisant baisser les yeux. Les deux cerbères ne tardèrent pas à tomber, et quand elle les releva, ils étaient à nouveau seuls.

Ou presque.

Elle avait encore son alpha qui observait aux aguets. Helda inspira profondément. Elle venait d’avoir une idée mais n’était pas certaine du résultat. La manœuvre était fortement risquée. Devait-elle faire remonter une créature des abysses ? Non. Il y avait trop de civils. Et entrainer son adversaire là bas était tout aussi fou. La jeune femme n’eut pas le temps de se décider qu’elle dut plonger dans les ombres suivit de près par son adversaire. Si elle pouvait l’empêcher d’utiliser les ombres, elle pouvait le vaincre. Malheureusement, la seule chose qui pouvait trancher ces dernières ne pouvait être que tisser par les ombres limitrophes du soleil.

La lame d’ombre et de lumière.

Ou alors il lui restait cette option. Invoquer le cimetière. Quitte à jouer le tout pour le tout, c’était sans doute la meilleure option qui s’offrait à la Ténébreuse. Helda regagna la surface et fit jaillir des pieux dans l’ombre sous elle qui coupèrent la route à l’Haschischin. Elle lança ses lames des deux cotés avant de plonger en avant. Elle roula sur le sol et leva la tête vers les cieux où deux lames meurtrières et un masque de cauchemar aux yeux rouges les fendaient.

Hécatombe.

Des ombres jaillirent cents lames projetées vers les cieux  ce qui ébranla le pouvoir de la jeune femme. Certaines touchèrent leur cible d’autres non mais aucune ne réussit à lui arracher la vie. Helda était déconfite mais elle n’avait pas de temps à perdre. Les lames retombaient en une pluie meurtrière. La jeune femme glissa dans les ombres et zigzagua avant d’éviter les lames. Lorsque la pluie cessa, elle quitta la Ténèbre et se découvrit contusions et coupures. Elle avait évité le pire mais le reste était à venir. Son adversaire l’attendait. Était-il serein ou reprenait-il son souffle ? Difficile à dire derrière ce masque. En tout cas sa tenue avait été mise à mal. Était-ce une cuisante égalité ?

Non, tu n’en as pas le droit.

Égaliser un Haschischin n’était pas une honte mais la jeune femme ne se le pardonnerait pas. C’était une question de fierté. Personne à part Ereshkigal, ne devrait pouvoir l’égaler ou la surpasser sur son propre territoire. Si elle ne pouvait le tuer, alors elle trouverait un moyen de le ramener. C’était ce qu’on lui avait ordonné. Capturer un Haschischin maitrisant les ombres… Comment le couper de celle-ci ? Le jour ne se lèverait pas avant plusieurs heures… Ou alors peut-être ne devait-elle pas le couper ? Oui c’était cela ! Helda pressa sa blessure feignant un signe de faiblesse. Le sang goutta sur le sol avant de disparaitre dans les ombres. Le sang était toujours la cloche de l’appel. Il y avait une autre lame qui pouvait lui accorder la victoire. Une véritable lame sombre et non une épée tissée dans les ombres. Helda n’avait ni le temps ni l’énergie pour réaliser une invocation en bonne et du forme. La grâce sombre avait déjà quitté ses prunelles. Elle allait devoir emprunter cette épée sans autorisation. La Ténébreuse ôta ses gants et plongea ses ongles dans son sang avant de lever les paumes vers le ciel. Ses ongles la picotèrent signent que les pentacles gravés dessus s’étaient activés. L’ombre s’agita avec violence provoquant des vagues de tempête qui déstabilisèrent les combattants. Impossible de plonger à présent sans se noyer. Sur la toile la présence enfla, mécontente. Helda ordonna qu’une cage jaillisse autour de l’Hashishin puis elle plongea ses mains dans la vague obscure. Elle tira de toutes ses forces avant qu’un cri déchirant ne s’élève dans son esprit avant que le calme et la normalité ne revienne. Elle apaiserait plus tard, le propriétaire. Dans ses mains, la Ténébreuse tenait la lame sombre de ses espérances. Une lame faite de ténèbres. Son adversaire n’attendit pas qu’elle assure sa prise pour la mettre à mal. Il plongea dans la Ténèbre mais Helda était prête. Elle planta l’épée dans les ombres qui sursautèrent comme prises de convulsions expulsant ses habitants de la Ténèbre. La Ténébreuse fixa l’épée de ses espoirs :

Zirvey la dévoreuse d’ombres.

Avec cette lame, elle pourrait emprisonner l’Haschischin. Helda leva les yeux vers son adversaire. Elle n’attendait plus de lui qu’il fasse le premier pas ou peut-être le dernier ?